replanter le Grand Carré
Le projet de replantation du Grand Carré dans l’état qui était probablement le sien fin 18e-début 19e siècle fait partie intégrante du programme global de restauration et de conservation des éléments patrimoniaux du Potager du Roi.
Le Grand Carré
Au cœur du Potager,
le Grand Carré
Ouvert sur le ciel, traversé par des lignes droites, qui, pour certaines, donnent sur le bassin central, le Grand Carré est un exemple accompli du jardin français à l’âge baroque. Aujourd’hui encore vous devez passer au moins deux grands pans de murs avant de pouvoir vous y promener. De surcroît, aux 17e et 18e siècles, l’accès final devait nécessairement se faire par un escalier en descendant. À la fin du 18e siècle, les terrasses du levant et du couchant ont été transformées en rampes pour faciliter la circulation des charrettes. C’est un lieu protégé et, en même temps, c’est la scène principale du site.
Le bassin central
À la construction du jardin, le bassin central faisait le double de sa dimension actuelle. Il servait de réservoir pour l’arrosage de la totalité du site et était alimenté par les réservoirs dits "Etangs de Gobert" à l’extrémité est de la rue d’Anjou. Il a été réduit à la fin du 18e siècle. Le Grand Carré n’a pas perdu la fraîcheur et le bruit de sa fontaine et a agréablement gagné en surfaces de production !
Les 16 parcelles maraîchères
D’une surface de 3 hectares, le Grand Carré est divisé en 16 carrés de cultures légumières, entourés de poiriers palissés en contre-espaliers prenant appui sur les armatures en fer forgé, dont certains sont doublés par des cordons de pommiers. La dimension de l’espace cultivé à l’intérieur de chaque carré est l’équivalent d’un quart d’arpent de Paris. Et, sans les larges allées qui entourent chaque carré, les 4 carrés qui constituent un quartier du Grand Carré correspondent à un arpent (3 419 m²), c’est-à-dire la dimension d’une exploitation maraîchère du 18e siècle. Hormis des espaces spécialisés ou cultivés de plantes vivaces, comme le carré des curieux, le carré des asperges, la parcelle de jardinage étudiant et celle dédiée à la formation continue, les légumes annuels n’ont pas de places attribuées dans le Grand Carré et ce afin de respecter la rotation des cultures.
Les poiriers
Au 17e siècle, le fruit français par excellence est la poire. C’est le fruit dont tout gentilhomme doit connaître un certain nombre de variétés, en commençant par la ‘Bon chrétien d’hiver’, la ‘Rousselet’ et sûrement la ‘Bezi de la Motte’, la poire préférée de Louis XIV. Jean-Baptiste de La Quintinie dit en avoir goûté plus de 300 variétés mais ne déclare qu’une cinquantaine de bonnes. Aujourd’hui, dans le Grand Carré sont notamment cultivées la 'Duchesse d'Angoulême', avec son arôme de coing, son goût citronné et sa forme bosselée et presque carrée, la 'Louise bonne d'Avranches', assez petite, vert foncé avec un beau rouge brillant qui se développe du côté du soleil, mais surtout avec son sucre et son goût floral. Ces deux variétés datent de la première moitié du 19e siècle. À noter également la 'Passe crassane', poire d'hiver par excellence se gardant assez facilement jusqu'en mars, qui date du milieu du 19e siècle.
Les armatures
À la création du jardin, les pourtours des 16 carrés du Grand Carré sont plantés en poiriers que La Quintinie décrit comme des buissons et que nous appellerions probablement des gobelets. Les armatures pour le palissage de contre-espaliers dans le Grand Carré font leur apparition plus tardivement, à la fin du 18e siècle. C’est un architecte de renom, Louis-François Trouard, qui les introduit. Ce ne sont pas encore les armatures d’aujourd’hui, car certaines parties étaient en bois. Les armatures actuelles datent de la deuxième moitié du 19e siècle. Travaillés branche après branche et arbre après arbre, les cinq niveaux parallèles de lignes horizontales des poiriers formés en palmettes Legendre qui s'y appuient, sont un véritable tour de force des jardiniers du Potager du Roi, une démonstration de savoir-faire, d'assiduité et d'un travail minutieux.
Le patrimoine arboré
Combien d’arbres au Potager du Roi ?
3 768 arbres fruitiers sont cultivés au Potager du Roi, auxquels il faut ajouter les arbustes et autres plantes ligneuses, comestibles ou ornementales. C’est environ une fois et demi à deux fois plus qu’à l’époque de La Quintinie, mais très inférieur aux chiffres relevés au tournant du 20e siècle puisque l’on comptait environ 14 500 arbres fruitiers en 1910. À noter que le gel enregistré pendant l’hiver 1709-1710 sur deux mois a certainement fait perdre plus de la moitié des arbres fruitiers du site et, selon les témoignages, le grand gel de 1879-1880 en a fait perdre jusqu’à 80%. L’histoire du patrimoine arboré n’est ainsi pas linéaire. Aujourd’hui, sa principale faiblesse est son vieillissement naturel. Les sujets les plus anciens du site datent en effet des années 1880 et atteignent les 140 ans d’âge, ce qui est exceptionnel pour des arbres plantés dans un but productif. Jules Nanot, professeur d’arboriculture fruitière et directeur de l’École nationale d’horticulture, écrivait au début du 20e siècle que la durée de vie d’un poirier au Potager du Roi était de 70 ans (contre 300 à 350 ans à l’état sauvage). Un programme de rajeunissement du patrimoine arboré du Potager du Roi est ainsi déployé par la replantation de nouveaux sujets dans tous les espaces où l’intervention est possible.
Combien de variétés fruitières ?
Les sources manquent pour donner des estimations exactes, mais, au 17e siècle, le Potager du Roi était dominé par des poiriers, des pêchers et des figuiers. Jean-Baptiste de La Quintinie proposait la culture d’environ 70 variétés de poires et seulement 7 variétés de pommes. À la fin du 20e siècle, le jardin comptait 32 variétés de poires et 39 de pommes, contre 309 et 565 respectivement à son début. Aujourd’hui, les poires, avec 140 variétés, et les pommes, avec 160 variétés, restent dominantes et côtoient une part croissante d’autres espèces et variétés d’arbres, abricotiers, cerisiers, figuiers, pêchers, pruniers, … et d’arbustes à petits fruits tels les arbousiers, cassissiers, framboisiers, groseilliers ou encore noisetiers.
Les formes fruitières au Potager
Palmettes Legendre, Verrier, verticales, cordons, U simple et double, tricroisillons, … il existe plus de 50 formes fruitières au Potager du Roi. Celles-ci ont une fonction à la fois esthétique et pratique puisque, d’une part, les fruits deviennent plus gros et plus colorés étant plus exposés à la lumière du soleil et, d’autre part, les arbres, notamment ceux en espalier, contre-espalier et cordon, prennent moins de place et sont plus nombreux. Jean-Baptiste de La Quintinie ne donnait pas de noms aux formes fruitières autres que « espalier » et « buisson ». Il est d’ailleurs connu qu’il ne souhaitait pas de contre-espalier au Potager du Roi. La véritable explosion du nombre de formes dans le jardin est un phénomène datant principalement du milieu du 19e siècle. Les formes complexes, souvent ornementales et de fantaisie, nécessitent la sélection de variétés et de porte-greffe adaptés ainsi qu’une main d’œuvre abondante et le recours régulier à des traitements. Des formes de conduite dites « à la diable », en éventail, en port libre, mais aussi des haies diversifiées, qui présentent un intérêt historique tout en étant plus économes en ressources et adaptées au contexte environnemental, sont aujourd’hui réintroduites dans le jardin. Les experts en taille fruitière étant peu nombreux en France, les savoir-faire pratiqués au Potager du Roi sont extrêmement rares et précieux.
État de conservation
Un peu d’histoire
Le roi Louis XIV aimait venir admirer son Potager. Il arrivait par la Grille du Roi et remontait ensuite une allée plantée de seize poiriers ‘Robine’, avant de découvrir le Grand Carré, dont l’aspect devait changer un siècle plus tard : c’est dans cet espace du jardin qu’ont en effet été installées, probablement fin 18e - début 19e siècle, les premières armatures de palissage servant de base à la culture d’arbres fruitiers en contre-espalier, dont l’organisation spatiale et visuelle est devenue aujourd’hui si emblématique. Le palissage en contre-espalier – les branches sont guidées le long de fils de fer tendus entre des piquets – permet à l’arbre de bénéficier d’une exposition optimale sous toutes les coutures. Dans son Traité des arbres fruitiers (1768), Henri-Louis Duhamel du Monceau écrit : « les arbres en éventails, en contre-espaliers, en palissades, embarrassent moins les jardins (que les arbres buissons), sont d’un produit à peu près égal et sont un ornement plus agréable à la vue ». On peut également lire dans un document d’archive de 1773 traitant du Potager du Roi : « les treillages des contre-espaliers […] en fer coutent à la vérité davantage mais leur durée éternelle doit les faire préférer ».
État des arbres
L’hiver 1879-1880 est précoce : les températures descendent en-dessous de 0 °C à la mi-novembre pour ne pas remonter pendant plus d’un mois. Les arbres ne sont pas encore assez endurcis pour passer l’hiver et plus des trois-quarts meurent. Replantés massivement suite à cet épisode à la fin du 19e siècle et dans la première moitié du 20e, les arbres ont aujourd'hui dépassé leur espérance de vie en conditions de production. Jules Nanot, professeur d'arboriculture fruitière et directeur de l'École nationale d'horticulture au début du 20e siècle, écrivait par exemple que la durée de vie d'un poirier au Potager du Roi était de 70 ans. Dans le cadre du projet de réhabilitation, la replantation s’envisage avec des espèces, des variétés et des formes fruitières qui n’ont pas toutes la même espérance de vie afin de réduire l’impact sur la production et la gestion des cultures tout en préservant l'esthétique du site.
État des armatures
Les poiriers sont de véritables forces de la nature ! Mais pour des arbres formés en palmettes Legendre, les armatures en fer forgé et le fil de fer s’avèrent indispensables. Or, au bout de 140 ans, avec les forces appliquées par les arbres aux pièces en fer qui guident et soutiennent leurs branches principales, le fer s’érode et les soudures lâchent. Nombreuses sont les armatures trop fragiles pour permettre une replantation sans restauration en conservation ou une réfection à neuf de l’ensemble. Ce sont notamment les points de jonction qui relient le bas des consoles aux potences et le haut des consoles aux lisses qui s’écartent et rendent les armatures instables. Certains massifs de support en pierre sont par ailleurs dégradés et contribuent à l'instabilité générale.
Les étapes de la restauration
➊
Refaire les armatures
Les travaux concernent une restauration en conservation et une réfection à neuf. La première implique la dépose et le démontage des structures, l’extraction de la rouille, le redressement des éléments tordus, la révision des assemblages, le sablage, la métallisation et le traitement antirouille, et, enfin, la repose en place avec les réglages nécessaires pour accueillir les futures lignes d’arbres palissés. Quant à la réfection à neuf, elle implique la fabrication en fer doux forgé de tous les éléments constitutifs d’une armature - poteau, jambe de force, lisse horizontale et consoles cintrées.
➋
Choisir les variétés
La répartition des poiriers imaginée par La Quintinie à la fin du 17e siècle oriente les choix actuels de replantation : poires d’été autour des 4 carrés du quartier nord-ouest, poires d’automne autour des 4 carrés du quartier sud-ouest et poires d’hiver autour des 8 carrés de la moitié est du Grand Carré. Pour s’assurer de la bonne pollinisation de l’ensemble, les 16 lignes de poiriers qui bordent les allées engravillonnées seront plantées de poiriers d’été de la variété ‘Williams bon chrétien’, qui donne des fruits particulièrement aromatiques et dont le pollen est apprécié par un grand nombre de variétés de poiriers.
➌
Replanter
Défini en concertation avec l'équipe des jardiniers, le programme de replantation de chaque ligne de palissage est organisé en plusieurs phases : la déplantation des anciens arbres, la régénération des sols sur plusieurs mois et la replantation à proprement parler, en hiver, de nouveaux arbres, qui sont ensuite formés en palmettes Legendre. Dix années sont nécessaires pour que les poiriers atteignent les cinq niveaux de cette forme complexe qui mobilise un savoir-faire spécialisé et environ vingt ans pour atteindre leur taille adulte.
Replanter une ligne de poiriers palissés